Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                        LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - 1995 - N°2

 

 

Emmanuel-Augustin-Dieudonné- Marie-Joseph

comte de Las Cases

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UN REVELOIS A SAINTE-HELENE.
par Paul REDON

 

 

A VANT les grandes réformes départementales et municipales entreprises par l'Assemblée constituante en 1790 les divisions administratives de la France étaient calquées sur les divisions Territoriales ecclésiastiques. La paroisse de Revel était plus étendue que l'actuelle vers le nord et elle faisait alors partie du diocèse, civil et religieux de Lavaur. De ce fait elle était beaucoup plus liée aux pays qui forment de nos jours le sud du département du Tarn et constituait en quelque sorte le centre administratif des nombreuses petites seigneuries incluses dans son emprise. D'ailleurs tous ces nobles ruraux avaient à cœur de participer à la vie politique de leur cité et considéraient comme un grand honneur d'être élu consul de Revel. Certains avaient même en plus de leur manoir campagnard une résidence en ville. Il formaient ainsi la noblesse dite "de cloche", c'est-à-dire la noblesse consulaire ou municipale de Revel. La plupart descendaient de bourgeois anoblis au XVI et XVIIème siècles. Ils étaient relativement nombreux. Citons pour mémoire, XVIIIème siècle

- les De Séverac, seigneurs de Montcausson,

- les De Terson, seigneurs de Palleville (1),
       - les De Franc, seigneurs de Montgey,

- les De Montfaucon de Rogles, seigneurs de Belloc,
       - les De Gouttes,

- les De Poitevin,

- les De David de Beauregard, et la famille De Las Cases (ou Las Cazes) dont le "château" existe toujours, mais ne fait plus partie de la commune de Revel (2)

Cette dernière famille que nous pouvons considérer comme revéloise, à connu la célébrité au XIXème siècle en la personne singulière d'Emmanuel-Augustin-Dieudonné-Marie-Joseph comte de Las Cazes qui fut le seul noble d'Ancien régime rallié à Napoléon, resté fidèle à l'Empereur jusque pendant sa captivité à Sainte-Hélène.

 

Les Las Cazes étaient une vieille famille d'origine espagnole implantée dans notre région au XVIème siècle. Ils se vantaient de compter parmi leurs parents le célèbre dominicain Barthélémy de las Casas, défenseur des Indiens d'Amérique contre les excès des "conquistadores". Un marquis de Las Cazes avait été consul de Revel en 1641 et son fils premier consul deux années consécutives, en 1692 et 1693. Celui qui nous intéresse est en 1766 au "château" de Las Cazes, qui, comme nous l'avons dit, faisait alors partie de la paroisse de Revel.

 

Il fit de brillantes études au collège des Oratoriens de Vendôme et de là envoyé à l'Ecole militaire de Paris. Les excellentes dispositions pour les sciences exactes lui permirent de réussir d'emblée le concours d'admission au Gardes-marines, la première Ecole navale et d'entrer ainsi par la grande porte dans le Corps d'élite très fermé qu'était la Marine Royale du temps de Louis XVI. Il servit sur les navires du Roi pendant les dernières années de la Guerre d'Indépendance américaine, visita l'Amérique, le Sénégal, l'Ile de France, l'Inde et servit un moment sous La Pérouse.

En 1789 il a vingt-trois ans, il est lieutenant de vaisseau. Il rentre en France au moment de l'ouverture des Etats Généraux.

 

Las Cazes, qui partageait les opinions royalistes de tout le corps de marine, fut du nombre des gentilshommes dont la fidélité s'efforça vainement de sauver Louis XVI. Contraint d'émigrer en 1791, il fit partie de l'armée de Condé à Coblence et ensuite passa en Angleterre et prit part en juillet 1795, à l'expédition de Quiberon. Heureusement pour lui, il fut de ceux qui ne débarquèrent pas. Pour occuper ses loisirs, il entreprit un grand travail destiné à l'enseignement de l'histoire, qu'il fit publier plus tard en France sous le titre d'Atlas historique chronologique et géographique ou Tableau général de l'histoire universelle, grand in folio, an XI et an XII (1803 - 1804). En 1802, profitant des mesures de pacification civile il rentra en France et offrit ses services au premier Consul. Napoléon pratiquait alors une active politique de ralliement des anciens émigrés, les attirait à la cour impériale et les pourvoyait d'emplois. Las Cazes fut l'un de ces ralliés d'abord intéressé (tous ses biens de Revel avaient été vendus comme biens nationaux en 1793) et ensuite dévoués. En 1808 il fut nommé chambellan de l'Empereur. Au sommet de la grande crise de 1809 qui mit la France dans une inquiétante situation pendant quelques semaines, Las Cazes reprit du service dans l'armée. Alors que l'Empereur était au prises avec les Autrichiens dans la très dure affaire de Wagram (juillet 1809), les Anglais effectuèrent un débarquement en Hollande dans l'île de Walcheren et prirent la ville de Flessingue. Las Cazes s'engage alors dans l'armée de Bessières chargée d'éliminer la menace anglaise. Il se distingue à la reprise de Flessingue et dans la défense d'Anvers.

Il est alors envoyé en Hollande lors de la réunion de ce royaume à l'empire français, et chargé de la récupération de la marine hollandaise. Appelé comme maître des requêtes au Conseil d'Etat.
 

en 1811, il fut placé à la direction de la dette publique en Illyrie ; les établissements de bienfaisance d'une partie de l'Empire furent ensuite mis sous son inspection.

 

Lors du rétablissement de la Garde nationale après les graves défaites de 1813, il prit le commandement de la 10ème légion chargée de défendre Paris. Le 31 mars 1814, sitôt qu'il connut l'arrivée de l'Empereur à Fontainebleau, il y courut. Il assista à l'abdication, et ses regrets pour la chute du gouvernement impérial furent si vifs, qu'il ne voulut pas être témoin de la rentrée des Bourbons, dont il avait été jadis le partisan, et passa en Angleterre. Le retour de l'île d'Elbe le ramena en France ; mais déjà le sort de l'Empereur était compromis. Las Cazes revint offrir ses services à Napoléon à son passage à la Malmaison après Waterloo. Il le supplia de lui laisser partager son infortune, et, quand l'empereur partit pour La Rochelle, il alla le rejoindre, non sans avoir couru des dangers dans la ville de Saintes.

 

Le 8 juillet 1815, il couchait avec Napoléon à bord de la Saal, et, deux jours après, il se rendait avec Savary, duc de Rovigo, près du commandant de la croisière anglaise, pour obtenir des saufs-conduits qui auraient permis à Napoléon et à sa suite de passer au Etats-Unis. Dans cette entrevue, Maitland, commandant du Bellérophon, suggéra à Las Cazes et à Savary l'idée, pour Napoléon, de se rendre en Angleterre, où il ne pouvait, ajoutait l'officier anglais, avoir à redouter des mauvais traitements. Las Cazes, deux fois réfugié en Angleterre, fit accepter à l'empereur cette résolution,

dont on connaît les conséquences, et le Bellérophon conduisit Napoléon et ses compagnons en terre anglaise, mais à Sainte-Hélène. Durant la traversée qui dura deux mois, l'empereur, qui avait fait son secrétaire de son ancien chambellan, lui dicta la relation de ses campagnes en Italie. Débarqué dans l'île le 15 octobre 1815, Las Cazes devint le compagnon de tous les jours de l'illustre captif ; il habita seul, sous le même toit, deux mois avec lui, entreprit d'enseigner à l'empereur déchu la langue anglaise et attentif à tout ce qui pouvait l'intéresser, lui rendait chaque soir un compte exact de ce qu'il avait vu ou appris dans la journée. Cette conduite éveilla les soupçons du gouverneur anglais Hudson Lowe. La correspondance de Las Cazes fut saisie et le gouverneur fut ainsi informé des plaintes que le compagnon de Napoléon voulait faire parvenir en Europe à Lucien Bonaparte père de l'Empereur. Menacé pour ce motif, d'être envoyé prisonnier au Cap, Las Cazes ne changea pas pourtant sa façon d'agir, mais il apporta plus de prudence dans la rédaction de son courrier. Toutefois il fut dénoncé et arrêté le 27 novembre 1816, en présence même de Napoléon et embarqué pour le Cap. Il y demeura prisonnier huit mois. L'état de santé lui ayant fait obtenir son retour en Angleterre, il fut ramené à Londres ; tous ses papiers furent remis au gouvernement britannique et quelques mois après il fut assigné à résidence à Franfort-sur-le Main et soumis à une sévère surveillance comme agent secret de Napoléon. Afin d'échapper à la police prussienne, Las Cazes réclama et obtint la protection du gouvernement autrichien. Il avait publié, à Stuttgart, un projet de pétition au parlement d'Angleterre. Peu de temps après il fit paraître ses Mémoires communiqués par lui, contenant l'histoire de sa vie, une lettre écrite par lui de Sainte-Hélène à Lucien Bonaparte, et une autre à Lord Bathurst, par Las Cazes à son arrivée à Francfort.

Cette publication inquiéta le gouvernement français de Louis XVIII; l'éditeur dut comparaître à Paris, devant le juge d'instruction. Mais l'effet voulu était produit. Durant quatre ans, Las Cazes erra dans l'exil, séjournant notamment aux eaux de Schwalbach et de Liège. Enfin à la mort de l'Empereur en 1821 le gouvernement français lui permit de rentrer dans sa patrie. Il y vécut dans la retraite, s'occupant de la rédaction du très célèbre Mémorial de Sainte-Hélène, ou Journal ou se trouve consigné, jour par jour, tout ce qu'a dit et fait Napoléon pendant dix-huit mois. Le succès de cet ouvrage, publié en 1828 en 8 volumes in- 8è et 8 volumes in-12e fut immense. Le Mémorial avait surtout pour objet de faire revenir l'opposition libérale sur le compte du despotisme de l'empereur, et d'assurer le triomphe à venir de la cause bonapartiste, en l'associant à celle de l'opposition, qui groupait déjà plusieurs partis différents. Las Cazes acceptait les idées constitutionnelles de la Charte et s'efforçait de les rattacher à la cause impériale, qui personnifiait la France à ses yeux. C'est en cet ordre d'idées que le trouva la révolution de 1830. Il en adopta les principes les plus avancés, tout en restant un fidèle bonapartiste. En 1831 élu député de Saint-Denis, il vint siéger à la Chambre, à l'extrême gauche, et s'associa à tous les actes de l'opposition. Il déclina un second mandat en 1834, l'accepta quelques années plus tard et il siégeait sur les bancs de l'opposition lorsqu'il mourut le 15 mai 1842 à Passy-sur-Seine.

 

Le Mémorial de Sainte-Hélène continua longtemps encore à entretenir la flamme de la légende napoléonienne et contribua indirectement à la restauration de l'Empire par Louis-Napoléon Bonaparte.

Le fils Emmanuel-Pons-Dieudonné comte, puis marquis de Las Cazes, né en 1800 à Vieux-Châtel dans le Finistère, avait suivi sont père à Sainte-Hélène et était rentré avec lui. Il hérita de son père les convictions bonapartistes, prit part à la révolution de juillet 1830. En 1840 lorsque Louis-Philippe décida le retour des cendres de l'Empereur, il embarqua avec le prince de Joinville sur la frégate Belle Poule et rentra avec la dépouille de celui dont il avait partagé bien jeune encore la captivité. Il adhéra avec enthousiasme au rétablissement de l'Empire en 1852. En décembre de la même année un décret impérial l'appela à siéger au Sénat mais pour peu de temps, car il mourut à Passy en juillet 1854.

A part le Mémorial de Sainte-Hélène et l'Atlas historique réédité en 8 volumes en 1840, il ne reste plus de souvenirs d'Emmanuel comte de Las Cazes. Sa statue orne une des places de Lavaur, chef-lieu de l'ancien diocèse civil dont dépendait Revel. Quant au domaine ancestral, il fut vendu comme bien d'émigré en 1793 et ne revint jamais dans la famille.

 

Notes

 

(1) - Les De Terson possédaient à Revel, rue de Soréze (actuelle rue Jean Moulin) un superbe hôtel, devenu de nos jours le Lycée professionnel "La Providence".

(2) - Le lieu-dit Las Cazes se trouve dans le Tarn à 6 kilomètres de Revel, au bord de la route de Castres, à la frontière des deux départements.

 

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